La faune dans les réserves de Kalaweit en Indonésie

L’Indonésie est le plus grand archipel du monde avec ses 17 000 îles dont une partie de Bornéo, le Kalimantan et Sumatra.
Le pays est célèbre pour ses forêts, les troisièmes plus grandes du monde, et sa biodiversité exceptionnelle. Rien d’étonnant quand on sait que l’Indonésie abrite 10% des forêts tropicales du monde, écosystèmes les plus riches de la planète en biodiversité.

On y trouve notamment 15% des primates du monde et de nombreuses espèces endémiques comme, pour ne citer que les plus célèbres, les orang-outans et éléphants de Sumatra et Bornéo, sept espèces de gibbons, le dragons de Komodo, les rhinocéros de Java et de Sumatra et le nasique.
Cette faune mais aussi cette flore sont extrêmement menacées par le trafic d’animaux sauvages et la déforestation. Ainsi en 50 ans l’Indonésie a perdu plus de 50% de ses forêts et à Bornéo et Sumatra ces chiffres atteignent même 70 et 60% en raison notamment de la culture du palmier à huile.
C’est pourquoi le travail de l’association Kalaweit est essentiel.
Dans les centres de soins de Pararawen à Bornéo et Supayang à Sumatra, elle recueille, soigne et héberge des animaux issus de trafic, avant quand c’est possible de les relâcher. Mais aujourd’hui, bien qu’elle continue ses premières activités, l’association se concentre sur l’achat de forêts à Bornéo et Sumatra pour créer des réserves privées. Au sein de ces réserves, toutes les activités traditionnelles restent autorisées à l’exception de la chasse et du bûcheronnage. Kalaweit en assure la surveillance avec des patrouilles terrestres et aériennes et des postes de gardes. Des caméras trap sont également installées afin de mieux connaître la faune présente dans les réserves.
Une “espèce parapluie” ? Quelques explications
Malgré sa faune très riche, ce sont toujours les mêmes espèces qui nous viennent en tête quand on pense à l’Indonésie. Ces espèces emblématiques bénéficient d’une représentation très positive de la part du grand public. Ce sont elles qui sont mises en avant par des associations car elles facilitent la mobilisation en faveur de la protection de son habitat, pour récolter des dons ou sensibiliser le grand public.

Ce sont les espèces parapluies dont la protection va bénéficier aux autres espèces du même écosystème mais qui n’ont pas le même charisme. En effet elles vont grâce à leur capital sympathie faciliter la levée de fond et rendre efficace les campagnes de communication. Pour une association il est plus facile de convaincre le grand public de donner pour sauver l’orang outan de Bornéo qu’une araignée.
Forêt primaire et forêt secondaire, quelles différences ?
Une forêt primaire est une forêt qui n’a jamais été abîmée, cultivée, défrichée et exploitée. Il peut également s’agir d’une forêt qui a été abîmée mais qui a eu le temps de redevenir primaire. Par contraste, une forêt secondaire est une forêt qui a subi des perturbations profondes qui sont généralement humaines mais qui peuvent aussi être naturelles.
Qu’elle soit primaire ou secondaire, une forêt est un réseau très complexe d’interactions biotiques. Ce réseau est très fragile car la moindre perturbation sur un des niveaux va faire disparaître tout ce qui est en aval, ce qui entraîne à terme la perte des qualités biologiques de la forêt et empêche son développement et son fonctionnement.
Néanmoins il est extrêmement intéressant de noter qu’une forêt tropicale peut se restaurer naturellement en 20 ans après l’abandon des pratiques agricoles. C’est ce qu’a montré une étude menée par plus de 80 chercheurs du monde entier et publiée en 2021 dans la revue scientifique Science. Ces forêts repoussent naturellement et retrouvent près de 80% de la fertilité de leurs sols, structure et fonctionnement et diversité par rapport aux forêts anciennes.
Il faut cependant 7 à 10 millions d’années à une forêt secondaire que l’on protège et sur laquelle on n’intervient plus pour redevenir primaire. Il y a donc un véritable espoir pour l’avenir des forêts tropicales.
Les réserves de Kalaweit
La réserve Dulan à Bornéo
Actuellement cette forêt, mosaïque de forêt primaire et secondaire ancienne, comprenant un lac et extrêmement riche en biodiversité, est officiellement sécurisée à près de 90%. Cependant la totalité de sa surface, plus de 1500 hectares, est effectivement protégée.

L’espèce parapluie : L’orang outan de Bornéo
Dans la réserve Dulan vivent une centaine d’orang-outans de Bornéo mais il existe également deux autres espèces : l’orang-outan de Sumatra et l’orang-outan de Tapanuli.Ces trois espèces sont endémiques d’Indonésie.



Taxonomie
– Classe : Mammifère
– Ordre : Primate
– Famille : Hominidés
– Sous famille : Pongidés
– Genre : Pongo

L’orang-outan fait partie de la même famille que nous, ce qui explique que nous ayons 97% de notre génome en commun. Attention donc à une idée fausse mais très répandue : nous ne descendons pas du singe, nous sommes des parents !
Caractères morpho-anatomiques
Comme la plupart des primates, l’orang-outan a les yeux placés à l’avant de la face, des mains et des pieds préhensibles à 5 doigts longs avec des ongles dont un pouce opposable et un cerveau avec un volume important proportionnellement à leur corps.
La vue est son sens le plus développé comme chez tous les primates.
En effet, l’orang-outan voit en relief et en couleur contrairement à beaucoup de mammifères. C’est la place des yeux à l’avant de la face qui permet une vision en relief et une meilleure appréciation des couleurs.
L’ensemble permet une plus grande précision des mouvements.
Mais l’orang-outan est plus précisément un grand singe, il n’a donc pas de queue et des membres antérieurs plus longs que ceux postérieurs. L’orang-outan a aussi, comme les autres grands singes à l’exception de l’homme, un bassin long et étroit adapté à la quadrupédie. En effet, chez l’homme le bassin est adapté à la bipédie : il est court et évasé.
Mais il est aussi une exception au sein de ce groupe : c’est le seul grand singe à être roux.
Mode de vie
L’orang-outan est le plus arboricole des grands singes : il vit dans la canopée jusqu’à 30 ou 40 mètres de hauteur, ce qui lui permet d’avoir accès aux fruits. Il ne saute pas mais se déplace par brachiation en utilisant son poids pour faire ployer les branches afin d’atteindre l’arbre suivant.

Sa morphologie et son anatomie sont adaptées à son mode de vie : ses doigts longs et fins lui permettent de se suspendre aux branches, ses membres inférieurs sont courts et donc moins lourds et ses membres supérieures longs ce qui lui permet d’attraper plus facilement les branches. On peut enfin remarquer que l’orang-outan a une envergure de bras très impressionnante : elle peut atteindre deux mètres chez les mâles.
S’il arrive aux mâles de Bornéo de descendre au sol, où ils s’appuient sur leurs points serrés pour se déplacer et non sur leurs phalanges comme les gorilles et les chimpanzés, ce n’est jamais le cas à Sumatra. L’hypothèse la plus probable à cette différence de comportement est la présence du tigre sur cette île alors que les orang-outans de Bornéo adultes n’ont pas de véritables prédateurs.
Au-delà d’être le seul grand singe roux et le plus arboricole, il est aussi semi-solitaire contrairement aux bonobos, chimpanzés et gorilles qui vivent en groupe et aux gibbons qui vivent en couple.
En effet, chez cette espèce le seul lien durable est celui qui lie la femelle à son petit.
Mâles et femelles ont eux des rencontres brèves pour la reproduction qui durent jusqu’à quelques jours. À Sumatra où les fruits sont plus abondants on peut observer des petits groupes de femelles en période de fructification. Enfin à Bornéo comme à Sumatra de petits groupes de femelles avec leur jeune se forment parfois quelques heures près de ressources alimentaires. Les chercheurs supposent que cela permet aux jeunes de développer leurs capacités sociales.
Alimentation
Les orang-outans se nourrissent essentiellement des fruits mais leur régime alimentaire s’adapte aux cycles de fructification.
Pendant les périodes de fructification massive les fruits représentent jusqu’à 90% de leur alimentation, les orang-outans constituent alors d’énormes réserves de graisse. Cependant ils mangent aussi des écorces, des feuilles, des pousses, et occasionnellement des œufs et des insectes.
Les orang-outans ont une excellente mémoire, ils sont capables de retenir l’emplacement des arbres d’intérêt et savent à quels moments ils vont faire des fruits. Ils assurent aussi la dispersion des grains de fruits qu’ils ingèrent via les fèces et quand ils les recrachent. Cela leur a valu le surnom de jardiniers de la forêt.
Nid
Pour dormir, les orang-outans se construisent tous les soirs un nid de branches et de feuilles. Ils cassent et arrangent des branches solides pour la base qui va supporter le poids du corps, puis ajoutent des feuilles pour le confort. Ce nid est fait dans les arbres en hauteur pour se protéger des parasites et des prédateurs et très rapidement puisqu’il ne leur faut que 7 à 10 minutes.

Reproduction
Il y a un dimorphisme sexuel important chez les orang-outans, les mâles dominants étant beaucoup plus lourds et grands que les femelles et ont des caractères sexuels secondaires : des poils extrêmement longs, un disque facial et un sac laryngé.
Les mâles orang-outans sont matures sexuellement autour de l’âge de 7 ans mais ils n’ont la totalité de leurs caractères sexuels secondaires qu’autour de 15 ans au plus tôt et certains mâles ne les développent que beaucoup plus tard voire jamais.

Les mâles subadultes ne développent en effet les caractères sexuels secondaires qu’en l’absence d’un mâle dominant à proximité que ce soit à la mort de celui du secteur ou en trouvant un nouveau territoire ou jamais. Les femelles ont une préférence pour les mâles à disque facial, les autres usant généralement de la force pour s’accoupler.
Les femelles sont elles aussi matures sexuellement dès l’âge de 7 ans mais n’ont leur premier petit qu’autour de l’âge de 12 ans.
L’accouplement a lieu dans les arbres et la gestation dure 8 mois et demi. A la naissance le petit ne pèse que 1,5 kg et va durant ses premiers mois passer son temps accroché aux poils du ventre de sa mère, puis les mois suivants à son dos. L’allaitement dure plusieurs années, jusqu’à 8 voire 9 ans. C’est la femelle va apprendre à son jeune tout ce qui lui permettra de vivre en autonomie dans la forêt, le père n’ayant aucun rôle. Le jeune apprend donc de sa mère, majoritairement par observation, comment se nourrir, se déplacer, faire un nid.
L’éloignement entre le jeune et sa mère est très progressif, il va rester plusieurs années auprès de sa mère après le sevrage, et les femelles peuvent également revenir voir leur mère. Elles l’observent donc élever le petit suivant ce qui les prépare à leur futur rôle de mère.
Communication
L’orang-outan ayant un mode de vie semi-solitaire n’a pas de mimiques marquées mais utilise une variété de sons et de signes pour communiquer.
Des chercheurs de l’Université d’Exeter ont étudié le langage de seize orangs-outans dans la réserve de la forêt de Sabangau, sur l’île de Bornéo, en Indonésie et ont identifié onze signes vocaux et 21 gestes types de communication. Une autre équipe de chercheurs de l’Université de Warwick ont montré que bien que les populations d’orang-outans ont une palette de sons bien établis et conventionnels, ils sont aussi capables d’innover en jouant sur leur durée et leur intensité, créant ainsi de nouvelles variantes.
Les mâles dominants sont eux, grâce à leur sac laryngé qui fait raisonner le son, auteurs de long calls, cri très puissant audible à plus d’un kilomètre qui va leur permettre d’attirer les femelles et de prévenir les autres mâles de leur présence.
Outils, cultures et arts
Les orang-outans sont capables d’utiliser des outils. Par exemple, ils utilisent des feuilles pour se protéger de la pluie ou des épines de certains fruits, des branches feuillues pour recueillir de l’eau et chasser des insectes ou encore des bâtons pour extraire des insectes de trous d’arbres.

Ils peuvent également apprendre des gestes typiquement humains à notre contact comme pêcher au harpon, scier du bois ou allumer du feu.
Une étude très récente menée par une équipe de scientifiques venant de l’Université de Tübingen a montré que des orang outans en captivité sont capables d’utiliser des outils coupants en pierre pour avoir accès à de la nourriture sans apprentissage préalable auprès d’êtres humains.
Par définition la culture est l’ensemble des savoirs et pratiques qui ne sont pas partagés par tous les individus de l’espèce, qui diffèrent d’un groupe à l’autre et qui ne sont pas liés à l’environnement. Cette culture est transmise de génération en génération, les petits apprennent des adultes en les observant.
En 2003, un groupe de chercheurs, dont le Dr Carel van Schaik et la Dre Biruté Mary Galdikas, ont décrit vingt-quatre comportements présents dans certaines populations d’orangs-outans mais absents chez d’autres.
On peut, grâce à cette étude et d’autres qui ont suivi, considérer que les différentes populations d’orang-outans ont des cultures. Par exemple, certaines populations de Bornéo utilisent des feuilles comme serviettes pour essuyer leur menton, alors que certaines populations de Sumatra se servent de ces mêmes feuilles comme gants pour enlever les fruits des branches épineuses ou comme coussin dans les arbres. Il a aussi été observé qu’à Bornéo comme à Sumatra les orang-outans envoient un baiser sifflant en aspirant l’air avec leurs lèvres resserrées. Cependant il n’y a qu’à Bornéo que les primates amplifient ce son en plaçant leurs mains autour de leur bouche.
Enfin, il existe en captivité des orang-outans qui font preuve d’une incroyable créativité.
Nénette, une orang-outan actuellement captive à la Ménagerie du Jardin des Plantes, peint et dessine sur des toiles, des feuilles, des carnets et les vitres. Elle utilise des crayons et de la peinture directement avec ses doigts ou ses lèvres ou avec des légumes, des objets… Et c’est loin d’être la seule orang-outan à peindre.

Wattana, qui est aujourd’hui au zoo d’Apenheul aux Pays-Bas, faisait quant à elle d’incroyables nouages avec des tissus, du carton, du papier, des ficelles, etc. Le tout en se servant de l’ensemble de sa loge et de ses quatres membres. Et elle non plus n’est pas la seule à savoir faire des nœuds, bien que ses compétences et sa créativité dans cette activité soient particulièrement remarquables.
On peut supposer que ces connaissances en tissage et nouage viennent initialement de la capacité des orang-outans sauvages à faire des nids.
Menace et espoir
Les orang-outans sont menacés par la perte et la fragmentation de leur habitat. La principale cause de la déforestation est la culture des palmiers à huile pour produire la célèbre et peu coûteuse huile de palme. Cependant la déforestation pour le commerce des bois tropicaux, le défrichage pour augmenter les surfaces cultivables et les énormes incendies font également de gros dégâts.

La population des orang-outans de Tapanuli est aussi extrêmement menacée par la construction d’un barrage hydro-électrique dans la forêt de Batang Toru, son unique habitat.
Moins dévastateur, le braconnage pour la viande de brousse mais surtout pour la vente des petits comme animaux de compagnie est lui aussi une menace. Le commerce des jeunes est particulièrement problématique car pour capturer le petit et le vendre il est nécessaire de tuer la mère.
Néanmoins il existe des associations à Bornéo et Sumatra qui luttent pour la sauvegarde des orang-outans. Comme l’association Kalaweit qui avec la création de la réserve naturelle Dulan a préservé la population d’orang-outans qui y vit.
On peut également citer l’Orangutan Foundation International, l’association du Docteur Biruté Galdikas, une des trois célèbres Trimates avec Jane Goodall et Dian Fossey. Elle est la première à avoir mené une étude sur des orang-outans sauvages.
Aujourd’hui son association se consacre à la conservation des orangs-outans et de leur habitat, la forêt tropicale. Tout comme Kalaweit, elle achète de la forêt pour créer des réserves mais elle réhabilite également des orang-outans et mène des recherches sur eux. Ces deux associations ne sont pas les seules à travailler sur le terrain Hutan, PanEco, la SOCP et d’autres encore font un travail indispensable pour préserver les dernières populations d’orang-outans sauvages et nous permettre d’espérer.
Quelques espèces moins connues de la réserve






Article rédigé par Clémentine Marquié
Merci pour sa contribution au journal de la tribu !
Laisser un commentaire